Mes "bagarres"
Un débutant, qui a généralement toutes les peines du monde à exécuter les mouvements que lui montre son professeur, et, quand il y arrive, le fait lentement, d'une manière décomposée, se demande toujours, un moment où l'autre :
"Est-ce efficace ?"
Un pratiquant plus avancé, capable d'exécuter sur le tapis assez correctement un certain nombre de techniques, se demande aussi :
"Oui, mais en situation réelle, qu'est-ce que cela donnerait vraiment ?"
En illustration, voici trois situations réelles qui me sont arrivées.
Trois, c'est sans doute peu, en 30 ans de carrière "Aikido". Si j'avais cherché la bagarre, j'en aurai sans doute eu davantage.
Et même pour ces trois là, je me suis dit chaque fois après coup que si je l'avais vraiment voulu, j'aurais pu aussi les éviter.
Une cigarette en attendant le métro
J'étais assis sur le banc d'un quai de métro, à attendre mon train. Un type un peu éméché vient vers moi et me demande une cigarette.
Agacé, je lui dis que je n'en ai pas. Il s'en va plus loin.
Le métro n'arrivait pas. J'oublie le type, et je sors de ma poche une cigarette. Je la mets à la bouche et le voilà qui revient, furieux.
"Quoi, tu m'as dit que tu n'en avais pas, tu te moques de moi"
Et il lève le bras pour me frapper.
Aussitôt je l'esquive, contrôle son bras en lui faisant "Ikkio" (pour savoir ce que c'est, faites de l'Aikido !), et il se trouve immobilisé à plat ventre sur la banquette.
Il est tellement ahuri du renversement (c'est le cas de le dire !) de situation, que son agressivité est tombée. Naturellement, je ne lui ai fait aucun mal.
Dans la bagarre, ma cigarette est tombée par terre. Je le lâche, et aussitôt il se baisse pour la ramasser et me la tend avec respect.
A mon tour d'être ahuri. Je la prends et saute dans le métro qui venait d'arriver.
La cabine du téléphone est occupée
Je veux téléphoner. Il y a une cabine juste devant une poste. Mais un type l'occupe et y parle avec volubilité.
J'attends un moment et me dis que je ferais peut-être mieux d'entrer dans la poste. Oui, mais s’il la libère aussitôt après, pendant que j'attends à nouveau à l'intérieur ? Cruel dilemne !
Je me décide à entr'ouvrir la porte de la cabine pour demander au type s'il en a encore pour longtemps (très poliment ).
Il m’envoie chier. Je referme la porte de la cabine en disant "sale con".
Sur ce, il devient fou furieux et raccroche en écrasant presque son combiné de téléphone, sort de la cabine en venant vers moi, menaçant.
Je suis complètement étonné de sa réaction et ne bouge pas, comme pétrifié.
Il cherche à me frapper à coups de poing, que j'évite sans difficulté. Voyant qu'il ne pouvait pas m'atteindre, il se met à fouiller dans ses poches.
Je me dis « Aïe,aïe, aïe, il est en train de chercher un couteau."
Mais il n'en trouve pas, et finalement défait sa ceinture, qui est en fait un gros ceinturon de cuir, avec une très grosse boucle de métal.
Et il tente de me frapper avec ça, faisant de grands moulinets avec sa sangle.
Mon sentiment de base est toujours l'étonnement, que ma petite demande de renseignement ait provoqué tant de fureur.
J'évite quelques coups. entre temps, un gros attroupement s'est fait autour de nous. Puis il m'atteint au front. Je ne sens rien, juste comme une fraîcheur.
Du coup il s’arrête, et se tient devant moi, le bras levé, la sangle pendante, prêt à frapper.
Je me dis "Mon petit Yves tu vas te faire massacrer. Pourquoi tu ne te sauves pas ?"
Mais mon corps reste complètement immobile devant lui, et il me dit :
"Qu'est-ce que tu veux ?"
Je réponds : "Je veux seulement téléphoner !"
Il n'a pas frappé une seconde fois, alors qu'il aurait pu, sur moi complètement immobile devant lui.
Sur ces entrefaites, la police est arrivée, et l'a embarqué.
Il disait :"Mais c'est lui qui m'a attaqué !"
Sur quoi le policier m'a dit :
"Je ne pense pas que vous auriez attaqué le premier un gaillard de cette trempe." C'est vrai qu'il était très costaud, et moi plutôt mince.
Ma blessure n'était pas grave, mais je me sentais psychologiquement déstabilisé et je suis allé tout de suite voir un ami médecin pour me faire soigner et réconforter. Je me suis depuis, longtemps méfié des cabines téléphoniques !
Le café associatif
Près de mon dojo, dans le 19e, s'était monté dans un squat, une usine abandonnée, un bar associatif. C'était géré par un collectif, on payait une cotisation annuelle, et on avait ses consommations moins cher.
On m'en avait parlé, je n'y étais jamais allé, je décidai ce jour là d'aller y voir, car cela me semblait être une initiative intéressante.
J'arrivai et m'installai. Il y avait déjà du monde, occupé dans une conversation animée. A ma table était un allemand, tranquille.
Les autres parlaient de plus en plus fort, en faisant des gestes de plus en plus vifs. Mon compagnon de table me dit : « Cela commence à sentir le roussi, je pars". Il se leva et sortit.
Pour ma part je n'avais rien noté d'effrayant et regardais les autres avec curiosité. Ils étaient trop loin pour que je comprenne ce qu'ils se disaient.
L'un d'eux, un grand gaillard, vint vers moi et mit carrément les pieds sur ma table. Il s'agissait manifestement d'une provocation, mais je ne réagis pas.
Je me levai pour partir, mais l'autre se leva aussi, et à mon grand étonnement me saisit à deux mains par le col et avança le tête pour à l'évidence me donner un "coup de boule".
Je fus surpris d'une telle intention méchante de sa part, je ne lui avais rien fait ni ne l'avais provoqué. Je me tournai simplement de côté en faisant "kokyu" et il alla voler à trois mètres dans les chaises.
Des jeunes femmes qui étaient là en voyant cela firent "O o o o o h !"
Il était tombé sans se faire mal. Il se releva et m'attaqua derechef de la même façon, ce qui suscita de ma part la même réponse, avec le même effet mais dans l'autre sens, et les jeunes femmes firent : "A a a a a a h !".
Il s'approcha à nouveau en tendant le bras pour m'attraper sans doute d'une autre façon, et sans lui en laisser le temps, je fis "Irimi" et il se trouva à nouveau par terre.
Cette fois-ci il se releva, fit un geste de découragement et partit.
Alors un type qui était sans doute le chef, et qui avait l'air méchant, s'approcha. Il se tenait droit et faisait mine de me regarder de haut.
Il me dit : "Que veux tu ?" Je répondis : "Ah moi, j'étais seulement venu prendre un verre"
Je sentais venant de lui comme un courant très fort, empli d'agressivité, de stress. Je me dis que ce type, et ses compagnons et compagnes, devaient terriblement souffrir, et intérieurement, je les plaignis.
Sur ce il se détourna et je crus qu'il me laissait tranquille. Mais ce n'était qu'une feinte, et de cette position de côté il me donna un coup de coude au visage. Mes lunettes se cassèrent et je saignai du nez.
Je lui demandai (très tranquillement) s'il trouvait que ce qu'il venait de faire était bien ? Trouvait-il correct de casser le nez de quelqu'un et de lui briser ses lunettes ? Il me répondit : « T’en veux un autre ?"
Je restais immobile en face de lui.
Je me disais : "Mon pauvre Yves, tu ferais mieux de te tirer, car tu risques fort de te faire démolir !" Mais je ne pouvais bouger.
Heureusement une des femmes qui était là, sans doute sa copine, n’arrêtait pas de crier "Arrête, arrête, laisse le tranquille !"
Je ne pense pas que c'était par pitié pour moi. Peut-être croyait-elle que j'étais très fort en arts martiaux, vu ce qu'elle m'avait vu faire avec mon adversaire précédent, et avait-elle peur pour son ami.
Toujours est-il qu'il se détourna à nouveau et cette fois-ci partit pour de bon.
Entre temps tout s'était mis à voler dans tous les sens dans le café. Les types avaient pris les chaises par le dossier et s'en servaient de masses pour briser tout ce qu'ils pouvaient autour d'eux, choses et gens. Toutes les vitres volaient en éclats.
Je me dis qu'il était grand temps de partir. La salle était à l'étage, et il fallait sortir par un escalier extérieur. Au bas de l'escalier, d'autres types attendaient, pour "s'occuper" des fuyards. Je me dégageai facilement de leurs tentatives de saisie et évitai leurs croc en jambes.
Un cri fusa : "La police, la police !", et ils s'enfuirent tous à toutes jambes.
J'appris par la suite que c'était une bande organisée du 19eme qui était venue là exprès pour tout casser. J'étais tombé là à ce moment là par hasard. C'est bizarre.
On me raconta que dans l'équipe qui tenait le bar, il y avait un bon karatéka, qui en avait bien amoché quelques-uns. Mais que cela les avait rendus fous furieux, et qu'après le départ de la police ils étaient revenus avec des couteaux, des haches et des révolvers pour bien parachever leur saccage, et que le karatéka, pour sauver sa peau et être tranquille, avait dû déménager.
Pour ma part, je ne déménageai pas, mais pris quand-même la précaution de me raser la barbe, que je portais très fournie à l'époque. On ne sait jamais. Je ne la porte plus depuis.
Malgré mes lunettes cassées et mon nez amoché, j'étais quand même content de ce petit épisode, car je trouvais que je m'en étais bien sorti. Je n'avais pas paniqué, ne m'étais pris les pieds nulle part en fuyant et n'étais pas tombé, et avais échappé à une bonne dizaine d'adversaires en même temps !
Néanmoins je dus aller au service d'urgences faire vérifier l'état de mes yeux, car mes verres de lunettes avaient été brisés et je craignais d'en avoir reçu des éclats dans l'oeil.
Mise à jour le 3 février 2017 : Je porte à nouveau la barbe.